La hype, ou comment manipuler au 21ème siècle (Partie 1)

Mouhamed Moustapha Diop
5 min readMar 8, 2023

La mode, la musique, le cinéma, même les choix professionnels et personnels, plus grand chose n’est épargné. Edward Bernays doit se réjouir. Bernays, le père de la propagande, de l’influence, l’homme qui a fait fumer la femme par besoin d’affirmation et de liberté, l’homme qui a fait adopter à des dizaines de millions d’américains une grande action de l'American way of life, le petit déjeuner œufs-bacon, l’homme a même aidé au renversement d’un président en 1954 au Guatemala. Le père de la manipulation à grande échelle.

Ce n’est en rien une nouveauté, l’homme agit par influence dans une importante partie de ses décisions. De manière consciente ou inconsciente nos décisions sont quasi toujours guidées par le monde extérieur. La hype en soit n’est que la fille de la propagande des années de Bernays. Avec de nouvelles générations, des moyens encore plus affinés, la hype repose essentiellement sur des procédés d’influence. Pas que ce soit bien, ou mauvais, mais à quelles fins ? Qui le sait et l’utilise ?

La hype est un procédé publicitaire qui sert à attirer des gens par des moyens médiatiques afin d’influencer leurs décisions. Utiliser des gens connus, avec une forte notoriété, une base acquise de personnes sous leur influence, leur faire passer un message que leurs communautés adopteront sans sourciller. Mais comment en est-on arrivé là ?

Louis Vuitton, Dior, Gucci, Yves Saint Laurent, Balenciaga, CELINE, Adidas, Nike, toutes ces marques aux positionnements différents, ont su utiliser la hype à leur guise afin d’attirer et de créer une plus forte demande. Dans notre manière de nous habiller entre autres, nous souhaitons souvent souligner une certaine singularité, nous démarquer des autres, et cela ces marques l’ont très bien compris. Elles réussissent à créer une fausse rareté lors des lancements de leurs articles, ce qui créent une ruée incontrôlable vers eux, leur permettant de fixer à leur guise les coûts et variantes du marché. Et bien plus, la plus grande performance de ces enseignes en mon sens c’est de faire apprécier des choses par leur prix. Et leur “originalité”. Demander à un client de Balenciaga, qui s’est approprié une paire de Runner Trainers sa motivation d’achat, il vous évoquera la rareté, la cherté, l’artiste l’ayant porté à son dernier clip ou au dernier BET ou lors de ses vacances au Hampton.

Balenciaga Runner Trainers-1300USD

Ce sont ces artistes qui usent de leur pouvoir d’influence à tous les niveaux pour faire adopter ces styles, et non gratuitement. Beyoncé, Pharell Williams (le tout nouveau creative director de Louis Vuitton), Kanye West sont tous des représentants de longue date de Adidas. Kanye est pour beaucoup le génie derrière la collaboration avec Adidas et la ligne Yeezy, en omettant les dizaines de créateurs derrière. Yeezy a rapporté en moyenne depuis sa première collection en 2015, selon le New York Times, 1.5 milliards de dollars, avec 5% pour Kanye. Cependant il détient la totalité des droits sur la marque ce qui met le géant allemand en position inconfortable depuis que ce dernier a décidé de mettre fin à leur collaboration en octobre dernier. Notons que depuis quelques semaines plusieurs sources déclarent que Adidas voudrait revenir en arrière sur sa décision. Et pourtant les designs de Yeezy ne sont en apparence aucunement compliqués à reproduire, raison pour laquelle l’industrie de la contrefaçon s’y prend à cœur joie. Pourquoi dépenser des centaines de dollars en plus pour une même paire avec une qualité pas aussi supérieure qu’on nous le vend? La hype. Porter la même paire que Kanye, cocher une case élevée dans la hiérarchie, Maslow n’a jamais eu autant raison, le besoin de reconnaissance est plus que jamais présent.

Kanye West x Yeezy Foam Runner

Chez Nike, les collaborations avec de grands noms de la culture urbaine ne sont pas étrangers, Travis Scott est le grand nom de ces dernières années. Des paires à plus de 3000 USD rapportant à l’artiste en moyenne 10 millions annuellement. Par ailleurs il a su utiliser son image et son influence dans plusieurs autres domaines, avec Mc Donald’s, Playstation, Fortnite. Pour dire à quel point l’influence peut être diversifiée et puissante. Se faire remarquer est un besoin que partage la majorité des humains. Ce qui en fait une espèce influençable, manipulable. La streetwear se muant en luxe, et ce de plus en plus, les marques ont compris qu’il fallait développer une nouvelle ligne, faire rêver un certain segment, et se l’approprier.

On ne peut parler de streetwear-luxe sans évoquer BALENCIAGA. La marque de luxe espagnole est devenue experte en designs extravagants, aux allures dites originales, mais en tout point très particuliers. Tout chez Balenciaga est signature. Les défilés, les collections, les sorties, tout. Ce qui est excellent pour une marque, se démarquer sans avoir à marquer son nom. Toutes ces valeurs “ajoutées” ont permis à la maison de réaliser, en 2021, un chiffre d’affaires de 1.188.915.290 euros. Balenciaga n’a cessé de grandir en tout point depuis une dizaine d’années. Kanye a aussi beaucoup participé à cette expansion, cette fois en tant qu’égérie et non designer, en ayant participé à des défilés notamment à la Paris Fashion Week en octobre dernier. Et pour ne pas déroger à la règle, elle a aussi connu récemment, en Novembre 2022 un scandale autour de la sexualisation d’enfants dans une campagne parue sur Instagram. Les conséquences se sont tout de suite faites sentir, Demna, le directeur artistique de la marque a déclaré lors de la dernière Fashion Week que Balenciaga reverrait sa manière de lancer ses collections. De la poudre. Le styliste géorgien sait à quel point toute cette extravagance qualifie Balenciaga, et il ne s’en priverait pas !

Kanye West-Paris Fashion Week 2022

La question est pourquoi, à l’heure de la cancel culture, Balenciaga, et toutes ces grandes maisons s’en sortent malgré les scandales auxquels elles font face ? (rendez-vous dans un prochain article ?)

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